Si vous travaillez dans le secteur bancaire ou que vous vous intéressez à la finance, vous avez certainement entendu parler de la DeFi ces derniers mois. La quoi ???

 

La DeFi pour « Decentralized Finance » (ou Finance décentralisé en français ) désigne un mouvement visant à créer un écosystème de services financiers fonctionnant sur des réseaux de blockchain de manière entièrement décentralisée. 

 

Ainsi, on peut voir la DeFi comme l’expansion d’un système décentralisé connu de tous : le Bitcoin. Eh oui, si on résume le Bitcoin de manière très simple, il s’agit d’un système de paiement paire-à-paire décentralisé s’affranchissant des institutions bancaires comme de tiers de confiance (je vous invite d’ailleurs à lire le white paper du Bitcoin qui vient de fêter ces 13 ans). Les services de DeFi reposent sur le même principe. 

 

Regardons et analysons les 6 caractéristiques essentielles de la DeFi.

 

1. La DeFi est par nature décentralisée 

C’est le graal que peu de blockchains ont atteint (Bitcoin ou Ethereum).  La décentralisation signifie qu’il n’y a pas une seule entité qui assure et valide les transactions du réseau blockchain. Pour la DeFI, le principe est le même : aucune autorité centrale n’a de contrôle sur le service proposé. La gestion du service repose sur une gouvernance répartie entre ses intervenants. À la place d’un CEO ou d’un Board, une DAO (Decentralized Autonomous Organization) est mise en place pour assurer la gouvernance du service.

Super, mais quel est l’intérêt d’un tel système ?

Eh bien, du point de vue technologique, plus un réseau est décentralisé, plus cela limite les points de défaillance uniques. Par conséquent, les chances de succès d’une attaque sur le réseau diminuent, de même que la censure de ce réseau devient impossible. Du point de vue de la gouvernance, la manipulation d’un service par une personne ou une entité (pour manipuler des chiffres par exemple) devient impossible mais surtout, n’importe quel participant de la gouvernance peut soumettre à un vote une proposition pour faire évoluer un service financier. 

💡 Point d’attention : pour qu’une gouvernance soit solide, elle doit être correctement programmée sur la blockchain afin d’éviter les échecs cuisants comme celui de TheDAO en 2016. Des questions se poseront également vis-à-vis du régulateur : qui pourra être tenu pour responsable en cas de manquement à la loi ? Tous les détenteurs d’un token de gouvernance ? Il y a peu de chance. Le chemin pour construire un cadre juridique clair sera donc long.

 

👉 En résumé : les services de DeFi sont décentralisés technologiquement mais aussi sur le plan organisationnel. Tout utilisateur d’un service peut aussi en devenir contributeur (par vote, par implication dans le projet, etc.).

 

2. La DeFi repose sur un système permissif 

Sur le principe, tout le monde peut se connecter à un service DeFi pour l’utiliser. Autrement dit, vous n’avez besoin d’aucune autorisation pour y accéder. Mais est-ce vraiment accessible à n’importe qui ? Eh bien… oui, on ne peut pas empêcher un criminel ou un fraudeur d’utiliser ces services puisque qu’aucun KYC n’est demandé. 

💡 Point d’attention : n’ayons pas de conclusion hâtive pour autant ! L’argument cliché serait de dire « la DeFi, c’est comme le Bitcoin, c’est surtout utilisé sur le Dark web et pour des activités illicites ». Ce serait réducteur de penser de cette manière. Les chiffres nous montrent d’ailleurs le contraire : selon le dernier rapport “Crypto Crime Summarized” de Chainalaysis émis en janvier dernier, seuls 0.34% (soit $10 milliards) des volumes de transactions en cryptomonnaies étaient liés à des activités criminelles. Or, selon une estimation des Nations Unies, (sources : Forbes), les transactions en dollars connectées au blanchiment d’argent et aux activés illicites représenteraient 2% et 5% du PIB mondial (soit $1.6 à $4 mille milliards)

Des projets pour instaurer des KYC décentralisés sont en cours afin de répondre à cette problématique mais il n’existe pas de solution fiable pour le moment. Cela amène également à se questionner sur le KYC effectué par les banques notamment pour les particuliers. Peut-être avez-vous ouvert un compte auprès d’une néo-banque. Tous les documents fournis lors du KYC sont des copies/scans. Vous-êtes-vous déjà demandé comment la banque s’assure que la personne devant son écran est bien la même que celle sur la copie de carte d’identité ?

 

👉 En résumé : la DeFi est accessible à toute personne, quels que soient sa nationalité, son niveau de revenus ou sa situation géographique.

  • La DeFi est entièrement transparente

Voilà un concept auquel les citoyens attachent de plus en plus d’importance. La transparence est une caractéristique inhérente à de nombreuses blockchains publiques. Concrètement, cela signifie que l’ensemble des transactions et des comptes d’une blockchain sont consultables. Il vous suffit de vous rendre sur l’explorer de la blockchain (les explorers Bitcoin ou Ethereum par exemple).  

Dès lors qu’un service financier fonctionne sur une blockchain, vous pouvez consulter l’ensemble des transactions assurées par ce service mais aussi son code source pour en comprendre le fonctionnement. Ce sont les fameux « smart contracts », terme galvaudé car il s’agit ni plus ni moins de programmes qui exécutent automatiquement un ensemble d’actions si toutes les conditions pré-requises sont réunies. L’intelligence du contrat est donc corrélée aux compétences du développeur. Et bien sûr, une fois le smart contract émis sur la blockchain, il est impossible d’en modifier le code. Les services financiers de la DeFi ne sont donc ni plus ni moins que des protocoles informatisés et open source.

Mais transparence ne veut pas nécessairement dire compréhension. Qui aujourd’hui, à part un développeur, est capable d’interpréter des lignes de code ? 

Pour qui n’a pas les compétences, il est difficile de réellement comprendre le fonctionnement des protocoles de DeFi parfois très complexes.

👉 En résumé : l’ensemble des transactions et la mécanique de fonctionnement d’un service de DeFi sont totalement transparents, encore faut-il avoir les compétences pour les comprendre.

 

3. Les services de DeFi sont interopérables

C’est certainement le cœur de la philosophie derrière la DeFi. Tous les services étant open source, il est tout à fait possible de les copier, de les améliorer ou encore de les associer à d’autres services. C’est par exemple le cas du protocole de l’échange décentralisé Uniswap qui a subi un copier/coller par Sushiswap (oui, ces noms ne paraissent pas très sérieux…). Même chose pour les plateformes de prêt/emprunt, Compound et CREAM finance.  

💡 Point d’attention : il serait néanmoins réducteur de limiter l’interopérabilité à des copier/coller « sauvages ». Imaginez que vous disposiez d’un placement d’OPCVM sous mandat de gestion qui vous rapporte un rendement brut annuel de 5% et qu’un gestionnaire vous offre la possibilité d’optimiser ce rendement à 12% en prêtant vos actifs à une tierce partie. En finance traditionnel, ce cas est évidemment inaccessible pour les clients d’une banque de retail. 

En DeFi, c’est le b.a.-ba de tout investisseur. C’est là que la notion d’interopérabilité prend tout son sens. Des protocoles tels que Yearn.finance ou StakeDAO vous proposent des stratégies d’optimisation de rendement entièrement automatisées qui s’appuient sur des protocoles tels que Uniswap ou Compound. Là où des mois seraient nécessaires pour faire coopérer des services entre deux acteurs de la finance traditionnelle, seules quelques semaines suffisent dans la DeFi. 

Les chiffres parlent d’eux même : le nombre de plateformes DeFi est passé d’une centaine en 2020 à 369 en 2021 (si on se base sur le nombre de tokens DeFi).

Cela offre un champ de possibilités et de croissance organique infinie mais amène également un risque de dépendance. Que se passerait-il si une défaillance d’une plateforme venait à se propager à travers les protocoles qui l’exploitent ? Sur cet aspect, des plateformes d’assurance comme Nexus Mutual ou Opium.finance ont émergé en DeFi et offrent la possibilité de s’assurer contre certains risques (hacking, liquidation totale de ces actifs, etc.).

 

👉 En résumé : la DeFi fonctionne sur le même principe que les Legos. Chaque service peut se plugger et exploiter des services existants.

  • La DeFi supprime les intermédiaires

C’est une des promesses de la DeFi, à savoir supprimer les intermédiaires et leurs coûts associés. Accéder à un service sur la DeFI ne nécessite pas d’avoir recours à un intermédiaire. À la place, les utilisateurs interagissent avec des lignes de code ou plus précisément les « smart contracts » qui définissent les règles d’utilisation du service. Toute interaction non prévue dans le code ne pourra être traitée. 

Prenons un exemple concret : lorsqu’une entreprise ou un particulier souhaite obtenir un prêt, il doit nécessairement faire appel à une banque, voire un courtier s’il veut obtenir le meilleur taux. En un sens, la banque se positionne comme intermédiaire puisqu’une partie des fonds prêtés provient des dépôts d’autres clients. Lors de l’obtention du prêt, des frais seront facturés à l’emprunteur (frais de dossier, de garantie, de courtage, etc.). 

Sur des protocoles comme Aave ou Compound, un emprunteur obtiendra ses fonds (sous réserve de placer un collatéral en garantie) directement d’un pool, c’est-à-dire un groupe de prêteurs. Ce sont les smart contracts d’Aave qui remplacent le contrat de prêt et définissent les conditions telles que la liquidation du collatéral en cas de défaut de paiement.

En somme, plus qu’une désintermédiation, il s’agit d’un changement d’intermédiaire : la banque est ici remplacée par un protocole. 

Pour les utilisateurs, l’intérêt de ce système est multiple :

  • Des coûts plus faibles 

Une étude menée par le Boston Consulting Group et Crypto.com en 2020 montrait que 95% des intérêts payés par les emprunteurs était reversés aux prêteurs sur les plateformes DeFi de prêt/emprunt contre 20 à 30% seulement dans la finance traditionnelle.

Figure 1 : CeFi vs. DeFi lending value chain: DeFi disrupts Lending by offering p2p, low-cost lending options.

  • Garder un contrôle total sur ses fonds

Si on reprend l’exemple ci-dessus, un prêteur peut retirer ses fonds d’Aave ou de Compound à tout moment. À l’inverse, une banque peut bloquer les paiements de ses clients sous couvert de préserver leur intérêts ou de suspicion de fraude. C’est impossible en DeFi. Un changement important de paradigme s’opère puisque la responsabilité des fonds est déplacée de l’intermédiaire aux utilisateurs. En cas de fraude, de vol ou même d’une erreur (perte de son mot de passe) causée par l’utilisateur, c’est ce dernier qui en est le seul responsable et non plus sa banque.

  • Une solution pour les pays les plus débancarisés 

La réalisation des bénéfices dans le système financier traditionnel repose sur l’intermédiation. Les acteurs financiers se développent peu dans les zones où vivent des populations à faibles revenus car elles ne pourront pas y recourir. À cela s’ajoutent des contraintes administratives (obligation de fournir une pièce d’identité, un justificatif de domicile et de revenus, etc.) pour ouvrir un compte en banque, imposées par les réglementations ou les politiques internes des banques. Pour autant, la DeFI ne tient pas cette promesse à l’heure actuelle. En comparant le top 20 des pays ayant adopté la DeFi et ceux les plus débancarisés, seuls 3 pays se retrouvent dans les deux listes (Brésil, Chine, Inde). 

  • S’affranchir de la confiance d’intermédiaires 

Ne plus avoir à faire confiance à un intermédiaire pour assurer ce service. Cela rejoint la philosophie du Bitcoin qui est de s’affranchir des institutions bancaires comme tiers de confiance. C’est pour cela qu’on parle d’un système « Trustless ».

 

👉 En résumé : en DeFi, les protocoles remplacent les acteurs traditionnels de la finance tels que les banques.

 

4. La DeFi repose sur une philosophie « Trustless »

La majorité des blockchains ont été conçues pour permettre aux utilisateurs d’intervenir entre eux (en « peer-to-peer ») même s’ils ne se connaissent pas et ne se font pas confiance. Par extension, c’est également le cas de la DeFi. Ne plus avoir à se soucier d’accorder sa confiance à une tierce partie est idéal. Mais, est-ce une réalité ? La confiance en un service financier peut être basée sur sa réputation, ses performances passées et un cadre juridique (par exemple, le code monétaire et financer en France qui protège les consommateurs). Bien sûr, en cas de litige, l’interprétation de la loi reste à l’appréciation du juge. 

Pour la DeFi, « Code is law » comme on dit. L’utilisateur doit donc faire confiance au code. Mais comment ? Les sociétés d’audit dans le secteur de la blockchain sont florissantes et de plus en plus sollicitées pour vérifier les protocoles DeFi. 

💡 Point d’attention : pour autant, 15 des 40 protocoles DeFi hackés en 2021 ont été audités. On peut partir du principe que faire confiance à un protocole revient à faire confiance aux développeurs qui l’ont conçu. Mettons volontairement à l’écart la faible proportion de personnes malintentionnées qui chercheraient à tromper des utilisateurs. Derrière chaque ligne de code il y a un humain, tout humain étant par nature faillible, un protocole (soit un ensemble de lignes de code) peut être faillible. Il y a d’ailleurs une contradiction sur les sites web des services de DeFi qui prônent d’un côté un système « Trustless-based » et de l’autre mettent en avant le background de l’équipe projet et de leurs investisseurs. C’est là une volonté d’appuyer sur l’aspect réputationnel pour inspirer la confiance vis-à-vis des utilisateurs.

Un service « Trustless » est donc plus un idéal qu’une réelle caractéristique. Tout comme dans les institutions où des interventions sont parfois nécessaires pour annuler a posteriori, unilatéralement, une transaction illicite, il faut accepter que des interventions d’agents (tels que les développeurs) soient également nécessaires dans la DeFi. Au-delà d’un idéal, c’est une éthique à intégrer dans la construction d’un service DeFi tout comme les banques disposent d’un code de conduite et d’une politique RSE.

 

👉 En résumé : La DeFi amène un changement de paradigme. Ce ne sont plus aux intermédiaires financiers qu’il faut faire confiance mais aux protocoles.

 

Conclusion : plus qu’une tendance, la DeFi est-elle une révolution du secteur financier ?

La DeFi se positionne comme une alternative au système financier traditionnel. Même si elle propose des solutions intéressantes pour résoudre certains de ses problèmes comme :

  • L’empouvoirement des utilisateurs/clients en leur redonnant le contrôle sur leurs fonds et aussi la possibilité d’être un participant au système de gouvernance des services qu’ils utilisent 
  • Une meilleure efficience des coûts par la désintermédiation

La DeFi ouvre de nouvelles problématiques : 

  • Comment réguler un système de gouvernance décentralisé ? Par exemple, quelle territorialité appliquer à un service apatride ?
  • Comment prévenir toute utilisation de ces services dans le cadre d’activés illicites (financement du terrorisme, blanchiment d’argent, etc.) grâce à un KYC fiable ?

Ce serait une erreur de balayer ces problématiques en pensant que le DeFi ne reste qu’une tendance. Elle s’appuie sur une technologie, la blockchain, née il y a 13 ans et qui n’en est qu’à ses balbutiements. Si l’on compare à l’internet, il aura fallu plus de 20 ans entre l’envoi du premier email et la création des premiers sites e-commerce dans les années 90. 

En l’espace de 2 ans, la Total Value Locked, c’est-à-dire la totalité des actifs placés sur des protocoles de DeFi, a connu une augmentation de presque 5 000% et s’élève aujourd’hui à 270,42 milliards. Certes, cela reste une goutte d’eau par rapport aux 90,7 mille milliards d’actifs financiers sous gestion à fin 2020. Cela peut s’expliquer par l’interopérabilité des services permise par la blockchain, l’absence de réglementations contraignantes et un excédent de liquidité provoqué par les politiques des banques centrales ces 2 dernières années qui s’est retrouvé injecté dans le secteur via les acteurs privés. 

 

Figure 2: Total TVL (source: Defillama)

Chez KYC Consulting, nous pensons que la DeFi présente des opportunités intéressantes pour les institutions financières. Elles pourraient par exemple proposer des produits financiers plus performants issus de la DeFi, tout en garantissant la protection des fonds à leurs clients. 

Il est d’ailleurs intéressant de relever que, selon Chainalysis, expert en analyse de données blockchain, les transactions faites par des grands institutionnels sur les protocoles de DeFi au Q2 2021 représentaient plus de 60% du total des volumes des transactions

Figure 3

 

Dernier exemple en date, SG Forge, filiale de Société Générale, a publié une proposition via le module de gouvernance du protocole MakerDAO pour réaliser un prêt en stablecoin DAI. Il est fort à parier que des initiatives de ce type vont se multiplier dans le mois à venir.

Dans le prochain article, nous explorerons les différents services de DeFi avec des exemples très concrets.

 

Federico Alberelli, Senior Manager